par Hélène Iven
L’utilisation d’engrais de synthèse (« engrais chimiques ») correspond à une vision linéaire de la chaîne alimentaire et entraîne une perte importante de ressources. L’agriculture industrielle telle que nous la connaissons aujourd’hui encourage les agriculteurs à utiliser des engrais chimiques, dont la production contribue à environ 1,2 % des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre chaque année (EIA, 2010). Ironiquement, la plupart des agriculteurs disposent déjà de ressources disponibles sur leur exploitation pour fertiliser leurs champs de manière biologique : fumier animal, compost, résidus de culture, etc. (« engrais organiques »).
Le problème est que les engrais organiques sont relativement inefficaces : 40 % à 70 % de l’engrais organique appliqué sur le champ est perdu sans être absorbé par la culture. De plus, il est difficile d’ajuster précisément l’application des engrais et leur moment d’utilisation en fonction des besoins des plantes, tout en limitant les surplus. En effet, la disponibilité des nutriments pour les plantes dépend du type de sol et des conditions du champ (Web et al. 2010). Par ailleurs, une mauvaise utilisation des engrais peut entraîner des pertes indésirables sous forme de volatilisation de l’ammoniac, de lixiviation de l’azote (N), d’émission de gaz à effet de serre (ex. oxyde nitreux) ou de ruissellement du phosphore (P). Pour cette raison, il est essentiel pour la chaîne agroalimentaire de trouver des solutions pour boucler le cycle des engrais et aider les agriculteurs à optimiser leur utilisation des engrais organiques.
Le premier défi lié à l’optimisation des engrais organiques est que la plupart d’entre eux ne sont pas directement disponibles pour les plantes et que nous ne savons pas précisément quand ils seront libérés au cours de la saison de croissance. Les agriculteurs peuvent appliquer des engrais organiques sous différentes formes (compost, lisier, fumier, engrais organique commercial, paillage avec des légumineuses, etc.). Cependant, la majorité des nutriments contenus dans les engrais organiques sont liés à des molécules de carbone et ne sont donc pas immédiatement accessibles aux cultures. Pour que les plantes puissent absorber ces nutriments, les micro-organismes du sol (bactéries, champignons) et les racines des plantes produisent des enzymes extracellulaires qui libèrent les nutriments du sol et des engrais organiques par un processus biologique appelé « minéralisation ». La vitesse de minéralisation de l’azote (N) et du phosphore (P) dépend de la composition chimique de l’engrais organique, de la matière organique du sol et de l’activité enzymatique du sol.
Cette minéralisation représente notre deuxième défi. La minéralisation est le processus qui libère les nutriments des plantes à partir de diverses sources de matière organique (matière organique du sol, engrais organiques, résidus de culture, etc.). C’est le principal moteur de la disponibilité des nutriments pour les cultures tout au long de la saison de croissance. Il est donc essentiel de pouvoir prédire la libération des nutriments issus de ces réserves pour assurer une gestion durable des nutriments. Des estimations précises de la minéralisation permettraient aux agriculteurs d’appliquer le bon type et la bonne quantité d’engrais au bon moment, optimisant ainsi les rendements des cultures tout en minimisant les pertes environnementales. Cependant, les agriculteurs ne disposent pas encore de mesures précises de la minéralisation des nutriments.
Notre idée est d’aider les agriculteurs à optimiser le moment et la quantité d’application des engrais en fournissant une estimation de la libération des nutriments basée sur l’activité enzymatique du sol. La prédiction et les conseils agricoles associés (type de culture de couverture, type d’engrais) seraient transmis via une application sur le compte client. En réduisant les pertes d’engrais, nous visons une amélioration de 10 % du rendement des agriculteurs biologiques à long terme et souhaitons encourager la conversion à l’agriculture biologique.
Ce projet vise, en coopération avec le groupe des agroécosystèmes durables de l’ETH Zurich, à développer une preuve de concept démontrant comment la mesure de l’activité enzymatique du sol peut être utilisée pour évaluer la minéralisation des nutriments.
Pourquoi pensez-vous que votre idée est unique ?
La mesure en temps réel de l’activité enzymatique du sol peut informer les agriculteurs sur le type, la quantité et le moment optimal d’application des engrais. Jusqu’à récemment, ces mesures ne pouvaient être réalisées qu’en laboratoire, ce qui modifiait les conditions naturelles du sol et fournissait des données peu fiables. Cependant, grâce au spin-off de l’ETH – Digit Soil, nous avons rendu possible la mesure en temps réel et sur site de l’activité enzymatique du sol. Nous avons développé un capteur permettant de mesurer cette activité enzymatique, collectant ainsi rapidement un grand volume de données standardisées et comparables à faible coût. Cinq études indépendantes ont validé cette technologie en laboratoire.
L’alternative à la mesure du taux de minéralisation serait d’évaluer la quantité de nutriments disponibles dans le sol à un moment donné (mesure des nutriments minéraux). Cependant, il s’agit d’un paramètre statique. Les agriculteurs baseraient leur plan de fertilisation sur une seule journée, alors que la disponibilité des nutriments peut être multipliée par dix le lendemain (Codruta Maris 2021). La mesure des nutriments minéraux ne fournit donc pas suffisamment d’informations pour une fertilisation efficace.
Quel segment/marché ciblez-vous ?
Notre produit s’adresse aux agriculteurs soucieux de la santé de leurs sols et de leurs rendements, qu’ils soient en agriculture conventionnelle ou biologique. L’utilisation des engrais organiques devient de plus en plus attractive financièrement : ils permettent d’inverser la dégradation des terres cultivables (qui entraîne une baisse des rendements) et deviennent moins coûteux que les engrais chimiques en raison de la hausse des prix de l’énergie et des conflits géopolitiques.
Les principaux moteurs du marché sont la dégradation des sols (l’ONU prévoit une dégradation supplémentaire équivalente à la superficie de l’Amérique du Sud d’ici 2050), la hausse des coûts des engrais chimiques, et le renforcement des réglementations pour une agriculture moins polluante.
Notre stratégie de déploiement consiste à entrer sur le marché suisse – évalué à 85 millions de CHF – en 2024, puis à explorer d’autres marchés, notamment en Europe – évalué à 30 millions de CHF – en 2025, avant d’entamer une phase d’expansion internationale. Nous visons un marché de 16 millions de CHF en 5 ans, en captant 10 % du marché suisse et en générant des revenus au niveau international. De plus, nous prévoyons de pénétrer 5 % du marché européen en 10 ans (voir notre business plan pour plus de détails).
Notre stratégie d’accès au marché repose sur des partenariats avec des associations d’agriculteurs et d’autres parties prenantes du secteur. Nous avons déjà établi des contacts avec le Schweizer Bauer Verband, Fenaco et Agroscope en Suisse. De plus, nous réalisons actuellement un projet pilote avec la ferme suisse “HofLabor – Mosaik Design” à Zurich pour surveiller la santé de leurs sols.
L’un des principaux obstacles à l’adoption de notre technologie est l’acceptation des agriculteurs d’utiliser une application mobile. Les agriculteurs en serre y sont déjà habitués, mais ceux en extérieur moins. Nous anticipons cette barrière en co-développant l’interface utilisateur avec les agriculteurs. Nous testons déjà une maquette de l’application avec eux.
Votre idée contribue-t-elle à des systèmes alimentaires plus durables ?
Notre idée permettrait aux agriculteurs de réduire leur dépendance aux engrais chimiques, d’améliorer les rendements en régénérant les sols et en optimisant l’utilisation des engrais tout en réduisant la pollution.
Notre projet contribue ainsi à cinq objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies :
Quelles compétences apportez-vous au sein de votre équipe ?
De quoi avez-vous besoin pour faire avancer votre idée ?
Pour aller plus loin après la preuve de concept, nous devons tester notre premier modèle sur le terrain. Nous aurions besoin :
Quelles sont les prochaines étapes pour avancer dans votre projet ?