par Florian Davoine
L’électroculture consiste à établir un champ électrique autour d’une culture ou de plantes afin d’augmenter le rendement massique par unité de surface de production, tout en apportant d’autres bénéfices.
Il y a un siècle, un principe simple était utilisé : la construction d’une structure verticale en matériau conducteur (généralement du cuivre et du fer galvanisé) permettait de capter le champ électrique terrestre et de l’amener à une hauteur spécifique, influençant ainsi les racines des plantes grâce à une tension constante ou modulée en fréquence.
Cet effet a été largement étudié et prouvé depuis le XIXe siècle par des ingénieurs électriciens et des agronomes, appuyé par de nombreux témoignages et publications scientifiques. Une revue récente, réalisée par un groupe de recherche coréen, a établi un état de l’art presque exhaustif sur la question. Cette revue confirme que la majorité des études passées ont rapporté des effets positifs de l’application du champ électrique sur la croissance des plantes ainsi que sur leur teneur en composés bioactifs. Par exemple, les recherches ont montré une augmentation de 27 % de l’huile essentielle de menthe poivrée, et une hausse de 57,5 % et 28 % des alcaloïdes dans les feuilles et graines de datura sous l’influence de champs électriques, qu’ils soient naturels ou artificiels, constants ou modulés.
Historiquement, la conversion de l’industrie des nitrates à des fins militaires (fabrication d’obus) ainsi que l’influence des grandes entreprises chimiques souhaitant pénétrer le marché agricole ont conduit à la disparition progressive de ces techniques. Aujourd’hui, l’agriculture moderne fait face à des défis critiques, notamment la dégradation des sols, la potentielle pénurie d’engrais chimiques, et les effets néfastes des produits chimiques persistants sur l’environnement et les ressources en eau.
Dans ce contexte, notre projet vise à mener des expériences scientifiques afin d’évaluer l’efficacité de l’électroculture sur différentes graines et d’analyser les conditions et les impacts de son intégration dans certaines pratiques agricoles en Suisse.
Le projet a pour but d’établir un protocole expérimental rigoureux et de conduire des tests afin de vérifier les effets de différents champs électriques sur diverses cultures. Deux types d’expérimentations seront réalisés :
Une première expérimentation en chambre phytotronique, où un champ électromagnétique artificiel sera appliqué aux plantes pour observer leur développement dans des conditions contrôlées.
Une seconde expérimentation en serre et en plein champ, exploitant le champ électrique naturel avec des dispositifs conducteurs positionnés autour des cultures.
Les indicateurs d’évaluation incluent le rendement comparé à différentes stratégies de fertilisation, l’évolution de la qualité des sols et la qualité des produits agricoles récoltés. Les résultats attendus devraient permettre de démontrer les bénéfices de cette approche, d’identifier les coûts associés, d’évaluer l’intérêt d’une combinaison avec d’autres techniques de fertilisation et d’analyser son impact sur la santé des sols.
Le processus détaillé sera défini dans le cadre d’un travail préliminaire interdisciplinaire impliquant plusieurs acteurs et parties prenantes. Des agriculteurs menant déjà des recherches en électroculture en France seront associés à la définition des expériences. Des observations complémentaires, telles que la résistance des plantes aux maladies et aux parasites, seront également menées et approfondies si des configurations expérimentales adaptées peuvent être définies.
L’exploration scientifique de la méthode d’électroculture pourrait révéler des effets à approfondir dans le cadre de projets spécifiques, qu’ils soient appliqués ou fondamentaux. Une analyse globale des aspects liés à la durabilité et au potentiel pour l’économie circulaire sera également réalisée.
Bibliographie:
[1] : Justin Christofleau, Electroculture.
[2] : V.H. Blackman, F.R.S., A.T. Legg, F.G. Gregory, The effect of a direct electric current of very low intensity on the rate of growth of the coleoptile of barley,
Proceedings of The Royal Society B: Biological Sciences, 1923, 95, 214-228. DOI : 10.1098/rspb.1923.0034
[3] : V.H. Blackman, Field Experiments in Electro-culture, The Journal of Agricultural Science, 1924, 14, 240-267. DOI : 10.1017/s0021859600003440
[4] : Werner Oswald, Beiträge zur Theorie der Elektrokultur, ETHZ Thesis N° 688, 1933.
[5] : H.A. Pohl, Electroculture, Journal of Biological Physics, 1977, 5, 3-23. DOI :
10.1007/bf02310088
[6] : Martine Queyrel, Électroculture et plantes médicinales, Thèse n° 338, Université de Limoges, 1984.
[7] : Sora Lee and Myung-Min Oh. Electric field: a new environmental factor for controlling plant growth and development in agriculture, Horticulture, Environment, and Biotechnology. 2023. DOI : 10.1007/s13580-023-00525-y
Expliquez pourquoi votre idée/projet est radical ?
Avec les engrais, l’industrie chimique a imposé un nouveau paradigme à l’agriculture dans les années 1920-1930, une époque clé pour le développement de l’industrie chimique. Développer des techniques qui utilisent le champ électrique naturel de la Terre (sans apport d’énergie) et qui permettent d’obtenir des effets similaires à ceux des engrais chimiques représenterait une avancée majeure en matière de durabilité, en répondant à des enjeux urgents à résoudre dans la prochaine décennie.
Cette idée est disruptive, car elle pourrait instaurer un nouveau paradigme en réexaminant une méthode ancienne et durable, initialement utilisée pour augmenter les rendements agricoles. Elle permettrait non seulement de réduire la pollution générée par l’agriculture, mais aussi de régénérer les sols en limitant fortement l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’insecticides. En tant que nouveau paradigme, elle ouvre plusieurs champs d’investigation, notamment :
Enfin, d’après la littérature scientifique, la stimulation de la croissance des plantes par les champs électriques peut être obtenue avec des dispositifs simples. Par exemple, des brevets déposés par la société Ciba-Geigy dans les années 1980 montrent qu’une modulation de 10⁴ Hz pourrait être facilement mise en œuvre avec des technologies électroniques à bas coût.
Un autre aspect radical réside dans l’impact systémique sur l’agriculture et l’industrie alimentaire. L’augmentation de la production par une méthode biologique et naturelle permettrait d’améliorer les revenus des agriculteurs, en particulier ceux qui produisent des aliments biologiques. Elle réduirait également la dépendance de la Suisse aux importations pour répondre à ses besoins alimentaires primaires.
Qui sont les acteurs et parties prenantes de votre idée et comment allez-vous interagir avec vos clients et utilisateurs potentiels pendant la phase du projet ?
Pour mener à bien ce projet, nous avons intégré plusieurs acteurs clés sous la forme d’un groupe d’experts. Ils ont accepté de participer au projet et d’apporter leur contribution :
Grangeneuve : Dr. Thomas Rime, biologiste
Permafutur : Loïc Etcheberry
Université de Fribourg, Jardin botanique : Alain Müller
Domaine des Savoies : Sébastien Tombez
Ce groupe interagira principalement avec le partenaire de mise en œuvre. Cette interaction permettra d’évaluer les impacts potentiels de l’électroculture sur l’agroéconomie et la durabilité, et d’identifier comment elle peut répondre aux défis actuels de l’agriculture. L’interaction avec les partenaires de recherche fournira des éléments pour définir les premières expériences. Le groupe participera également à la définition et à l’observation des tests en plein champ et sous serre.
Quelles compétences l’équipe apporte-t-elle pour concrétiser l’idée proposée ?
L’équipe interdisciplinaire comprend un agriculteur (Sébastien Tombez), un ingénieur en électricité (Prof. Dr. Marco Mazza) pour conduire les expérimentations électriques, et un ingénieur en mécanique (Dr. Ing. Vincent Bourquin), expert dans le développement de systèmes de propulsion électrique haute puissance pour camions et machines lourdes.
Un spécialiste en électroculture (Loïc Etcheberry) a également été intégré afin de tirer parti de son expérience et de ses observations. Un ingénieur en sciences alimentaires et biologiste (Dr. Thomas Rime) fait aussi partie de l’équipe pour définir les méthodes d’analyse des rendements, des étapes de croissance, des phénomènes biologiques et de leur lien avec la génération du champ électrique.
L’institut iPrint, représenté par le Prof. Marco Mazza, apporte une expertise précieuse dans l’application des champs électriques et a déjà participé à plusieurs projets à l’interface de l’AgriTech et de l’ingénierie électronique.
Nous avons également contacté l’Institut de recherche en agriculture biologique (FiBL) pour établir une approche rigoureuse et conforme aux réglementations de l’agriculture biologique. Agroscope sera mandaté pour analyser la teneur en nutriments des produits électrocultivés afin d’identifier d’éventuelles différences significatives.
Ces expérimentations visent à fournir une première preuve de concept et à ouvrir la voie à des investigations scientifiques plus poussées et à des tests à plus grande échelle. Le projet devra durer au moins un an, idéalement deux.
Décrivez l’impact de votre idée/projet sur la durabilité (économique, sociale, environnementale).
D’un point de vue économique, les agriculteurs rencontrent de nombreuses difficultés. Cette technologie pourrait leur permettre d’économiser sur l’achat de produits phytosanitaires et d’engrais, tout en augmentant leurs rendements et la valeur nutritionnelle de leurs cultures.
Sur le plan social, la qualité des aliments serait améliorée grâce à une teneur accrue en nutriments et à une réduction de l’usage des pesticides. L’augmentation de la productivité des cultures pourrait renforcer la sécurité alimentaire locale et inciter davantage de personnes à se tourner vers l’agriculture.
D’un point de vue environnemental, la réduction de l’utilisation des pesticides contribuerait à restaurer la santé des sols, à préserver la biodiversité et à limiter la pollution des eaux souterraines.
Comment utiliserez-vous les fonds potentiellement accordés par l’Innovation Booster ?
Nous avons identifié deux axes d’expérimentation :
Expériences en phytotron avec atmosphère contrôlée
Expériences en plein champ et en serre
Votre projet s’est développé avec succès pendant la période de financement de l’Innovation Booster, quelle serait votre prochaine étape ?
Lors de la phase de constitution de l’équipe, nous avons établi des contacts avec plusieurs partenaires potentiels, comme le FiBL et Agroscope, afin de susciter leur intérêt pour ce sujet.
Étant donné que l’électroculture couvre un large champ de recherche, notre prochaine étape consistera à approfondir les expérimentations et à faire évoluer le processus testé à une échelle industrielle.
Nous envisageons de créer un groupe d’intérêt pour lancer un projet de recherche à grande échelle en collaboration avec Agroscope, FiBL et Grangeneuve. Les financements pourraient provenir d’Innosuisse, des projets systémiques de Fribourg Agri&Food ou du programme Interreg France-Suisse.